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"Mademoiselle", ou l'âge des femmes

 Longtemps, j'ai tourné autour du terme "mademoiselle". En parler dans le blog, ou pas ? Jusqu'au jour où je suis tombée s...

Dénommer les meurtres conjugaux "féminicides", un faux progrès


Ne parlez plus de meurtre conjugal ! Et surtout pas de drame familial !
Dites : "féminicide"!
Botte secrète, incantation salvatrice, arme ultime.
De combat contre les meurtres de femmes par leur conjoint, de lutte contre les violences faites aux femmes.
Beau programme.

Sauf que la belle idée pourrait bien constituer un faux progrès, entaché de vrais problèmes.
Sa définition fumeuse, son utilité douteuse, sans parler de ses effets négatifs, y compris pour...les femmes.




Le "féminicide" dans le cadre conjugal, une définition floue et inadaptée


Selon l'ONU, le terme décrit le meurtre d'une femme "en tant que femme", éliminée en raison de son genre.
Exemple-type : la tuerie de l'école polytechnique de Montréal en 1989 dont l'auteur avait assassiné quatorze étudiantes au seul motif de leur sexe.
Ou bien, selon l'OMS, les féminicides "au nom de l'honneur"  (protection de l'honneur familial), ou "liés à la dot" pour non-paiement de sa dot par une jeune femme.
Le mot féminicide correspond ainsi à un meurtre misogyne, sexiste, motivé par la haine des femmes, le maintien de la domination masculine.
L'hypothèse recouvre-t-elle les meurtres conjugaux ?
Sans aucun doute lorsqu'ils sont perpétrés par des hommes à la cervelle rongée par la détestation et le mépris des femmes.
Mais tous les crimes conjugaux, sans distinction ?  Tous des "féminicides" ?
Doit-on attribuer à tous leurs auteurs une motivation sexiste, misogyne, machiste ?
Y compris à l'homme qui a tué sa moitié par cupidité, au conjoint âgé qui a mis fin aux jours de son épouse malade (cas assez fréquents), au mari qui a mis un terme - de la pire des façons - aux violences psychologiques et/ou physiques de sa compagne (cas pas si rares) ?
Certes, des hommes tuent souvent leurs compagnes après une séparation ou une intention de rupture, dans un contexte de jalousie, de coups, d'emprise psychologique, de mécanismes de domination, d'esprit de possession.
Certes, de tels crimes peuvent révéler un contexte machiste, l'intention de dénier les droits fondamentaux des femmes.
Mais tous, par principe, par définition ?
Des journalistes d'une publication - réputée sérieuse - le reconnaissent : personne ne s'accorde sur la définition du féminicide.
Ils l'admettent : il importe d'apporter nuance et complexité dans l'analyse de ces faits violents, d'éviter les simplifications réductrices.
Ce qui n'empêche pas ces mêmes professionnels - réputés sérieux - de jeter tous les meurtres conjugaux dans le même sac du "féminicide"...
Eux et bien d'autres.
Bulldozer linguistique, le terme s'est imposé dans le langage courant, cogne aux portes du langage juridique.
Gare aux réfractaires, ces odieux antiféministes, ces traîtres à la cause des femmes !

Cause que, pourtant, l'usage du mot "féminicide" n'aide guère.

Le "féminicide" dans le cadre conjugal, un terme inefficace


Dénommer "féminicides" tous les meurtres de femmes par leurs conjoints (ou ex) importerait pour rendre réellement visibles les violences visant spécifiquement les femmes,
Faire émerger l'ampleur de ce phénomène de société dans la sphère publique, diminuer le nombre de femmes tuées.
Faire diminuer ?
Entre 2007 et 2014, le nombre de femmes tuées dans un cadre conjugal est passé de 166 à 118, soit une baisse significative, même si ce n'est pas (jamais) suffisant. 
C'est en 2015 que le mot "féminicide" a fait son entrée dans le dictionnaire "Le Petit Robert", sous cette définition : "Meurtre d'une ou plusieurs femmes ou filles en raison de leur condition féminine".
C'est depuis 2015 que la réduction des meurtres de femmes au sein du couple a - hélas - ralenti.
Le terme "féminicide" révèle une redoutable efficacité pour "diminuer le nombre de femmes tuées" dans le cadre conjugal...
Cela va de soi, le mot effarouche les hommes prêts à cogner leurs femmes, retient les coups des brutes...

Assez pinaillé sur les chiffres, l'essentiel serait de mener un combat "symbolique", label "féminicide"en étendard !



Qu'il importerait non seulement de brandir dans le langage courant, mais aussi de graver dans le marbre du droit pénal.
Sauf que le Code pénal prévoit déjà des circonstances aggravantes en cas de meurtre sur conjoint (article 221-4).
Sauf que depuis 2017, une autre circonstance aggravante alourdit la peine encourue en cas de crime commis en raison du sexe ou du genre (article 132-77 du Code pénal).
Bref, le droit français fournit déjà tous les outils pour infliger les plus lourdes peines au meurtrier d'une femme qu'il aurait tuée en raison de son genre. L'incrimination du "féminicide" serait redondante, superflue.
Pourtant, la sphère médiatico-associative n'en démord pas : assez parlé de "simples" meurtres ou assassinats, parlons politique, inégalités de genre, stéréotypes sexistes. Mettons en avant la reconnaissance légale des "féminicides" conjugaux, au nom du "combat symbolique"...

Et tant pis pour les effets négatifs - y compris pour les femmes - d'une telle qualification.


Le "féminicide" dans le cadre conjugal, un terme contre-productif


Englober tous les meurtres conjugaux, sans distinction, sous le mot "féminicide" ?
C'est considérer toutes les femmes comme victimes par nature, pour la seule raison qu'elles sont femmes.
C'est les réduire, toutes, au rôle de proie des hommes, eux-mêmes tous assimilés à des prédateurs, mus par la haine du féminin, bien entendu.
C'est ignorer que, aussi fréquente soit leur intervention dans les meurtres conjugaux, maltraitances psychologiques et/ou physiques, manipulations, emprise, jalousie excessive, esprit de possession, ne sont pas une exclusivité masculine et misogyne.
C'est méconnaître la capacité des femmes, êtres humains à part entière, à de tels comportements.
C'est enfermer chaque sexe dans un rôle déterminé par principe, par définition.
L'un faible, l'autre agresseur.
C'est contredire l'un des principaux objectifs assignés à l'extension du domaine du "féminicide" aux meurtres conjugaux : combattre les inégalités de genre, les stéréotypes sexistes.
Belle avancée de la cause des femmes, en effet.

Ce n'est pas tout.
Définir juridiquement le crime par le genre de la victime, instaurer une incrimination spécifique de "féminicide" conjugal contredit le principe d'universalisme du droit et d'égalité des citoyens devant la loi.
Oui mais ne serait-il pas temps de jeter aux orties ce vieux principe d'universalisme, pour reconnaître enfin que les femmes sont des victimes spécifiques ?
Oui mais ne serait-il pas temps d'en finir avec ce louche principe d'égalité théorique, et de déloger les réelles inégalités de genre ?
Sauf que poursuivre un meurtrier pour "féminicide" serait plus compliqué que pour un "simple" meurtre ou assassinat. Le "féminicide" perturberait preuve et procédure. Exigerait de démontrer que la victime a été tuée parce qu'elle était femme, d'établir un mobile "sexiste". L'incrimination "spécifique" conduirait plus facilement à l'acquittement de l'accusé, affaiblirait la répression.
Belle avancée de la cause des femmes, en effet.


Poursuivre et renforcer la lutte contre les meurtres conjugaux s'avère indispensable.
Utiliser à cette fin le terme "féminicide" se révèle un faux progrès.
Mais un vrai problème : pour sa définition aléatoire, son efficacité discutable, ses effets défavorables aux femmes elles-mêmes.
Les fervents partisans du mot magique en sont conscients au point de se retrancher sur le terrain du "combat symbolique", tout en admettant la nécessité d'actionner d'autres leviers .
Sur ce point je suis d'accord.
Par exemple plus de moyens octroyés à la formation de policiers, magistrats, médecins, travailleurs sociaux, à l'ouverture de centres d'écoute, d'accueil, d'hébergements, à la mise en place de dispositifs d'éloignement des conjoints violents.
Plutôt que d'un nouveau terme "symbolique" et clivant, ce sont de mesures concrètes dont ont besoin les victimes - toutes les victimes - de violences conjugales.



2 commentaires:

  1. Effectivement je partage ta réserve sur la qualification automatique en "féminicide" pour les meurtres conjugaux. Certaines histoires ne sont pas forcément aussi évidentes que l'on ne le pense.

    J'émets toutefois une petite réserve pour les cas où la femme est malade car il faut définir si c'était une volonnté ou non. Après, tuer sa compagne parce qu'elle est malade ne me semble pas relever, de manière générale, à un féminicide, même s'il faudrait peut-être regarder de plus près car certaines fois ce n'est pas évident non plus. Il y a certains cas où l'homme tue sa femme parce qu'elle est malade mais que par conséquent, il ne supporte plus de son côté d'avoir une vie limitée par la maladie de sa femme, elle n'est plus aussi désirable qu'avant également, et certains de ces meurtres peuvent également faire intervenir une certaine frustration sexuelle.

    Mais à part cette réserve, je te rejoins totalement.

    Egalement sur le fait qu'il y a déjà la notion de circonstance aggravante, et qu'introduire cette notion dans le droit n'apporterait pas forcément beaucoup plus.

    Après, pour la notion de féminicide, tu parles de la difficulté à établir le meurtre en raison du sexe, mais je me demande si l'un des buts ne serait pas de mettre le féminicide "par défaut" (donc aucun besoin de preuve). Mais de ce que j'en sais, le conseil constitutionnel mettrait tout de suite son hola, (tout comme il l'a fait quand on a essayé de mettre la limite de la majorité sexuelle à 15 ans sans aucune possibilité de dérogation - et que le CC a cassé le projet de loi de Marlène Schiappa qui ensuite s'est prise des torrents d'accusation - à tort - de favoriser la pédophilie).

    Mais pour ta conclusion, on en revient toujours au même constat = former les policiers en victimologie, améliorer l'accueil, etc...

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  2. Jorda, merci pour ton commentaire.
    Tu as bien raison sur la difficulté à déterminer le mobile d'un crime, notamment du meurtre d'une femme par son conjoint (ou l'inverse d'ailleurs). Difficulté que la notion de "féminicide" plaquée sur ces drames n'aide pas à résoudre (autrement que sur le plan "symbolique", et encore...).
    Sans compter que le mobile n'est pas, en droit pénal, un élément constitutif de l'infraction, mais le cas échéant, une circonstance aggravante (déjà prévue dans le code pénal pour les meurtres commis en raison du sexe de la victime). Qu'il est nécessaire de prouver !
    Nous sommes bien d'accord : ce sont de mesures concrètes dont (toutes) les victimes ont besoin.

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