L'affaire Daval, ou affaire Alexia Daval, ou affaire Jonathann Daval : un meurtre conjugal à (très) haute teneur médiatique.
Il était acrobatique d'y échapper, sauf à habiter au fond d'une grotte, sans électricité ni moyen de communication, entre le 28 octobre 2017, date du crime et le 21 novembre 2020, jour du verdict (mari meurtrier condamné à 25
ans de réclusion criminelle).
Et ce n'est même pas fini. Des articles sur le prisonnier, sa vie, ses états d'âme, continuent de paraître, ou des livres consacrés à l'Affaire, ou une série documentaire.
Ce tapage serait logique, il correspondrait à un meurtre "emblématique" des "féminicides".
Une affaire médiatique, en effet. Emblématique, si vous le dites. Mais surtout, surtout, problématique.
A titre préalable, je précise : Alexia Daval ne méritait - absolument - pas de mourir, Jonathann Daval méritait - tout à fait - d'être enfermé en prison.
Dans ces conditions, où est le problème ?
Dans ces conditions, l'Affaire pose PLUSIEURS problèmes.
1) droit pénal et constitutionnel allègrement bafoués
- L'avocat de la défense prié de... ne pas défendre ("féminicide" !)
L'enquête a permis d'établir avec certitude les faits retenus contre Jonathann Daval - "meurtre sur conjoint" -, mais pas son mobile, demeuré incertain.
Selon l'avocat général, le mari, manipulateur et menteur, avait tué sa femme qui voulait le quitter.
Selon le meurtrier, il aurait subi humiliations, coups et insultes d'Alexia et l'avait étranglée "pour qu'elle se taise".
Dans ce contexte, son avocat (Me Randall Schwerdorffer) a choisi une stratégie de défense (son boulot, je rappelle).
Il a admis que son client était effectivement un criminel, tout en faisant valoir qu'il aurait été un mari dépassé par la personnalité écrasante de son épouse qui le rabaissait. Que les relations au sein du couple étaient complexes, très tendues, que l'épouse aurait infligé des violences au mari .
Grâce à cette ligne de défense, Me Schwerdorffer a récolté une tempête de... disons de violentes critiques, sur les réseaux sociaux, dans les médias, de la part des associations féministes.
Comment osait-il ?
Légitimer, excuser un féminicide ? Salir la mémoire de la victime ? Affirmer qu'elle aurait commis des violences envers son mari ? La blâmer du crime ?
Quelle indécente stratégie de défense !
La tempête vertueuse n'a cependant suggéré aucune stratégie de défense "décente".
A l'exception de : Maître, taisez-vous !
- merci de jeter à la poubelle le principe d'individualisation des peines ("féminicide" !)
Le droit pénal français consacre le principe d'individualisation des peines (articles 132-1 du code pénal et 707 du code de procédure pénale).
A cet effet, le juge fixe la peine, non seulement dans les limites légales, mais également en fonction de la gravité de l'infraction, des circonstances, de la personnalité, de la situation sociale et familiale de l'auteur des faits.
Il ne s'agit pas d'excuser, de dédouaner, mais d'infliger, autant que possible, une juste peine.
L'avocat de Jonathann Daval s'est efforcé d'appliquer ce principe - à valeur constitutionnelle - à la défense de son client. En tentant d'expliquer son crime, sans l'excuser.
Horreur, scandale.
C'est simple : rien ne justifie un féminicide.
C'est simple : les femmes ne sont pas responsables des violences qu'elles subissent, pas question d'excuser leurs auteurs.
Maître, cessez de légitimer le féminicide commis par votre client. C'est choquant.
Maître, cessez d'appliquer le code pénal. C'est honteux.
- prière de bafouer la séparation des pouvoirs et l'indépendance de la justice ("féminicide" !)
En France, l'un des piliers de Etat de droit repose sur un principe fondamental de séparation des pouvoirs législatif (vote la loi), exécutif (exécute la loi) et judiciaire (rend la justice). Avec pour objectif d'éviter toute concentration de ces pouvoirs entre les mains d'une seule personne ou d'un seul groupe politique. Règle basique d'une démocratie.
Ce principe à valeur constitutionnelle interdit, notamment, l'immixtion du pouvoir exécutif (gouvernement) dans le cours de la justice, autrement dit, garantit le respect de non-ingérence du politique dans les affaires judiciaires en cours.
Dans l'affaire Daval, une ministre, membre de l'exécutif donc, a estimé utile d'y mettre son grain de sel en attaquant publiquement la ligne de défense de l'avocat du mari :
Scandaleuse ! Meurtre (féminicide) inexcusable ! Arrêtons d'excuser les violences conjugales (contre les femmes) !
Autrement dit, le pouvoir exécutif s'est immiscé dans une affaire judiciaire en cours.
On brûle de connaître l'étape suivante. Fournir à l'avocat de la défense une liste des arguments agréés par l'exécutif ?
Sous couvert de protéger les femmes, l'affaire Daval a permis par ailleurs la réactivation de bon vieux clichés sexistes.
2) les femmes sont fragilité et douceur, incapables de violence contre leur conjoint
L'avocat du mari meurtrier a commis l'impardonnable : suggérer que la victime aurait pu constituer l'élément dominant du couple, qu'elle aurait été violente - psychologiquement et/ou physiquement - à l'encontre de son conjoint.
Hypothèse destinée non pas à excuser le meurtre, seulement à tenter d'en expliquer l'élément déclencheur (pour viser une juste peine en application du DROIT, inadmissible, v. § précédent).
Tollé, indignation, réprobation.
Présenter publiquement la victime comme une femme violente, une honteuse source de souffrance pour ses proches.
Accuser les femmes tuées par leur conjoint d'avoir été elles-même violentes, simple stratégie classique d'avocats en mal d'arguments pour défendre leur client. Balivernes de prétoire, et rien de plus.
Maître, taisez-vous.
L'hypothèse avancée par l'avocat de Jonathann Daval est-elle si farfelue ?
Pas vraiment.
Les hommes représentent environ un quart des victimes de violences conjugales, minorité non négligeable.
Mais chut.
Des femmes violentes, psychologiquement ou physiquement, contre leur conjoint, ça n'existe pas.
Des femmes qui les tuent sans légitime défense, ça n'existe pas.
Des femmes qui exercent un pouvoir de domination, une emprise, sur leur conjoint, ça n'existe pas.
Les femmes sont vulnérables, ou ne sont pas.
La domination est masculine. Ou n'est pas.
Enfin, rappelons qu'avant tout, sans autre forme de procès, le cas Daval a été jeté dans le sac des "féminicides".
3) proclamation d'un féminicide, un abus de langage
Aux ermites réfugiés au fond d'une grotte durant l'Affaire "emblématique", sachez-le : Alexia a été victime d'un féminicide, le terme colle au crime, d'ailleurs, la ministre en colère l'a répété : c'est un féminicide, inexcusable, maître, taisez-vous. Laissez parler l'exécutif, les médias et les féministes.
Ce qui soulève pourtant un petit problème, minuscule, insignifiant, négligeable (et négligé) : l'application du terme "féminicide" à l'Affaire pourrait être inapproprié. C'est ballot.
Le féminicide, qu'est-ce ?
Un terme non juridique, très en vogue, à connotation militante.
Qui correspond à un meurtre misogyne, sexiste, motivé par la haine des femmes, le maintien de la domination masculine.
Dans le cadre conjugal, le féminicide est commis dans un contexte inégalitaire dans lequel l'homme exerce un pouvoir de domination sur la femme, c'est un meurtre à dimension machiste reflétant ce rapport de domination entre hommes et femmes.
A en croire les médias, l'exécutif, les associations féministes, le meurtre d'Alexia Daval constitue l'illustration même de ces violences machistes, liées à l'exercice du pouvoir masculin sur les femmes.
Jonathann Daval, dominateur à l'égard de sa femme ? Jonathann Daval, misogyne, macho, sexiste ?
Pour autant que l'on sache, rien de tout cela n'a été établi au cours de l'enquête, ni même prétendu par les proches du couple.
Le dossier n'a fait ressortir aucun signe d'antécédent de violences du mari contre sa femme.
Le mobile du crime est demeuré incertain. Le ministère public s'est borné à affirmer - sans véritable preuve - qu'il aurait été motivé par l'intention d'Alexia de quitter Jonathann.
La dénomination de "féminicide" ne suffit pas à définir tous les meurtres conjugaux.
Rien n'indique que Jonathann Daval (condamné à juste titre) ait commis un féminicide.
De quoi l'affaire Daval est-elle donc l'emblème ?
Pas d'un féminicide, non établi, non caractérisé.
Mais en revanche :
d'une fragilisation de l'institution judiciaire sous couvert de protéger les femmes,
d'une perpétuation des clichés sexistes sous couvert de lutte contre le sexisme,
d'une fière justification de ces dérives par l'utilisation arbitraire du terme "féminicide".
Les mots ont-ils encore un sens ?
De moins en moins, et de cela aussi, l'Affaire apparaît emblématique.
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