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"Mademoiselle", ou l'âge des femmes

 Longtemps, j'ai tourné autour du terme "mademoiselle". En parler dans le blog, ou pas ? Jusqu'au jour où je suis tombée s...

Woody Allen innocenté, mais coupable "MeToo" à vie

Woody Allen, vous connaissez ?
Bien sûr, il a réalisé des tas de films.
Bien sûr, c'est un pédophile, un sale pervers, tout le monde le sait.

Tout le monde le sait ?
Pourtant, de longue date, le supposé "pervers" a été innocenté au terme d'enquêtes approfondies menées par deux institutions indépendantes et officielles de deux Etats de son propre pays, les Etats-Unis.
Ce qui n'a pas empêché son propre pays, les Etats-Unis, de honnir, de bannir le réalisateur Woody Allen. Dehors, le pédophile.



 
Ahurissant ? Stupéfiant ?
Pas vraiment. Quelques ingrédients ont suffi.
Un battage médiatique assaisonné à la sauce MeToo additionnée de préjugés sexistes. 
Mélangez, c'est prêt.
Bon appétit. 
 
 

Woody Allen formellement innocenté des allégations d'abus sexuels sur sa fille mineure Dylan


En août 1992, Dylan Farrow, alors âgée de sept ans, fille adoptive de l'actrice Mia Farrow et de Woody Allen, a déclaré avoir subi des attouchements de la part de ce dernier.
Déclarations effectuées dans le contexte suivant : 
 
- Les faits allégués auraient eu lieu le 4 août 1992 dans le Connecticut, dans la résidence de vacances de Mia Farrow, en pleine bataille judiciaire opposant celle-ci à Woody Allen sur la garde de leurs enfants (Dylan, Satchel, 4 ans, Moses, 14 ans).
Non seulement la maison était remplie de gens, adultes - invités, baby-sitters - adolescents, enfants, mais, en outre, l'actrice avait ordonné aux adultes de surveiller le réalisateur, en visite pour voir ses enfants.
 
- Mia Farrow était en rage contre Woody Allen. Quelques jours auparavant, elle avait appris qu'il poursuivait une relation amoureuse avec Soon-Yi Previ, fille adoptive de Mia, et alors âgée de 22 ans. Mia Farrow avait affirmé au docteur Coates, pédopsychologue de Dylan,  qu'il était nécessaire de "trouver un moyen (..) d'arrêter (Woody Allen) ".
 
-  Les déclarations initiales de Dylan ont été enregistrées sur une cassette vidéo par sa mère, qui a filmé de manière répétée la fillette - parfois nue - en plusieurs fois et sur plusieurs jours (onze segments).

Les allégations de Dylan ont conduit à l'ouverture de deux enquêtes distinctes, chacune menée par des équipes d'experts spécialisés en abus sexuels.
 

1) En septembre 1992, la police d'Etat du Connecticut a fait appel aux services spécialisés de la clinique des abus sexuels sur enfants de l'hôpital de Yale-New Haven.

Au terme de six mois d'enquête minutieuse comprenant de nombreuses auditions des nombreux témoins, l'équipe de l'hôpital de Yale a déposé le 17 mars 1993 son rapport, dont voici les conclusions :

"Dylan n'a pas été abusée sexuellement par Monsieur Allen. De plus, nous croyons que la déclaration de Dylan sur la cassette vidéo, ainsi que (sa) déclaration (...) durant notre évaluation, ne correspond pas aux événements réels qui lui sont arrivés le 4 août 1992. (...)"

Les experts de la clinique des abus sexuels de Yale ont précisé que : "vraisemblablement", "la déclaration de Dylan n'était pas vraie mais avait été inventée par une enfant vulnérable émotionnellement (et) mêlée au stress d'une famille désorganisée", qu'en outre "Dylan a été entraînée ou influencée par sa mère, Madame Farrow", la "combinaison de ces deux formulations" "expliqu(ant) le mieux l'allégation d'abus sexuel par Dylan". 

A cette occasion, ils ont rappelé les " incohérences importantes" dans les déclarations de la fillette, qui ne révélaient "aucune spontanéité" et donnaient "l'impression d'avoir été répétées".

A l'issue de ces constatations, le rapport a réitéré ses conclusions : "Dylan n'a pas été sexuellement abusée".

2) Parallèlement, les enquêteurs de la protection de l'enfance au sein du département des services sociaux de l'Etat de New-York ont procédé à leurs propres investigations, tout aussi fouillées.

A l'issue d'un an et deux mois de travail, les enquêteurs de l'Etat de New-York ont établi un rapport du 7 octobre 1993.
Qui a innocenté Woody Allen, une seconde fois.
Le document est explicite : il n'existe "aucune preuve crédible" de l'abus sexuel allégué, l'accusation est "non fondée".

Par conséquents, dans deux Etats différents, deux enquêtes approfondies menées par deux institutions distinctes et spécialisées en abus sexuels ont, toutes deux, conclu dans un sens identique : 
Dylan n'avait pas subi d'abus sexuel de la part de Woody Allen. Et les allégations de l'enfant ? Selon toute probabilité, proférées sous l'influence de sa mère.
 
En toute logique, toute poursuite pénale a été abandonnée et l'affaire classée.
En toute logique, le pénible épisode aurait dû sombrer dans l'oubli. 
En toute incohérence, il s'est produit exactement l'inverse.
 
 

Mais Woody Allen, coupable à vie...

 
Après deux enquêtes officielles ayant établi la fausseté de l'accusation, puis conduit à l'abandon des charges "non fondées" et au classement de l'affaire, que s'est-il passé ? 
Rien.
Rien, c'est-à-dire : aucun élément nouveau, aucune suspicion d'une nouvelle agression sexuelle à l'encontre du réalisateur. Aucune nouvelle accusation. Aucune nouvelle poursuite.
Rien. Nada.
 
Il n'empêche, vingt-cinq années plus tard, il se produisit ceci :

- De nombreux acteurs et actrices (par exemple : Thimothée Chalamet, Jessica Chastain, Susan Sarandon, Natalie Portman, Colin Firth, Kate Winslet, Michael Caine, Justin Timberlake, Greta Gerwig ) clamèrent leur profond repentir.
Jamais ils n'auraient dû travailler avec le cinéaste (cet immonde pédophile), jamais plus ils ne recommenceraient, promis, juré. 
Et comment expier les cachets de l'infamie, cet argent sale ? Certains repentis (ou leurs agents) ont eu une lumineuse idée. Vite une preuve de noble indignation, vite un don - public - à des associations caritatives.

- Les médias prononcèrent leur verdict (Woody Allen, un "monstre"), réclamèrent sanctions (boycott de ses films, effacement de son nom) et comportements vertueux (évitons de nous rendre complices, agissons en conformité à la morale).
 
- Dans cette mission de salubrité publique, les justiciers médiatiques trouvèrent l'appui d'une entreprise réputée pour son sens de l'honneur et de l'intérêt général (Amazon) : elle s'empressa de rompre son contrat avec le prédateur.
 
- Les redresseurs de torts bénéficièrent également du soutien d'une autre entreprise tout aussi soucieuse du bien de l'humanité : le groupe Hachette renonça à publier les mémoires du cinéaste. Gardons les mains propres. Pas de quartier pour les pédophiles. Justice pour leurs victimes.
 
- Le grand ménage "moral" nettoya le territoire des Etats-Unis : le dernier film en date de Woody Allen ("Jours de pluie à New York") fut privé de sortie en salles. Et plus généralement, le réalisateur (ce pervers) fut interdit de toute programmation, projection, et de tout financement de ses projets cinématographiques. 
 
Plus de vingt ans après avoir été innocenté au terme de procédures d'enquêtes officielles, le cinéaste devint donc un pestiféré dans son pays natal (et, à un degré moindre, en Europe) en qualité de pédophile.
Cette mise au ban, à ce moment précis, n'est pas survenue par hasard, ni par magie noire, ni par un coup des Russes.
Elle est arrivée dans le sillage du mouvement MeToo.
Lui-même renforcé par de solides clichés sexistes.


... grâce au verdict MeToo...

 
 
Juste cette piqûre de rappel chronologique :
En octobre 2017, le mouvement s'est déclenché avec l'affaire dite "Weinstein", du nom d'un producteur de Hollywood accusé de nombreuses agressions sexuelles (et condamné depuis).

-  Quelques mois plus tard, le 17 janvier 2018, en pleine "vague" MeToo, Dylan Farrow, désormais adulte (32 ans), apparaît sur la chaîne de télévision CBS. La jeune femme est en larmes. Et bien décidée à profiter de MeToo pour enfin "faire tomber" son père.
Ces déclarations télévisées contiennent-elles des révélations ? Aucune. Des éléments nouveaux ? Aucun.
Notons toutefois un "train électrique". 
Jamais signalé par Dylan ni sur la cassette vidéo enregistrée par maman, ni lors de ses multiples auditions par les enquêteurs de Yale et de New York. 
Dans la prestation télévisée de la jeune femme, le "train" tourne désormais en rond dans le "grenier", lieu supposé de l'abus sexuel allégué.
 
Bref, l'interview de Dylan n'apporte aucun élément nouveau et sérieux susceptible de contredire les  deux longues enquêtes minutieuses ayant conclu à la fausseté des accusations.
Un récent "documentaire" télévisé supposé "accablant" pour le réalisateur, n'apporte pas davantage de révélations.

Mais qui s'en soucie ?
Grâce à MeToo, la parole des (femmes) victimes d'agressions sexuelles commence à se libérer.
Dans ce contexte, sous l'œil avide des caméras, une jeune femme en pleurs décrit l'agression qu'elle a subie, avec force détails, train électrique inclus.
Elle accuse un homme (blanc), célèbre, de plus de cinquante ans.
Devinez quel protagoniste suscitera l'émotion, la faveur du public ? 
Devinez lequel affrontera l'infamant verdict médiatique ? 
Je vous fais un dessin ?

- Sans oublier que Dylan Farrow, ses larmes et ses déclarations n'ont pas surgi seules.
 
A l'origine, c'est sous la houlette de sa maman (Mia Farrow) qu'alors âgée de sept ans, elle avait émis ses accusations initiales, filmée - déjà - durant plusieurs jours, parfois nue...
 
Plus tard, un jeune homme à gueule d'ange a appuyé les dires de l'accusatrice.
Le beau chevalier servant n'est pas le premier venu.
Il s'agit de Ronan Farrow, frère cadet de Dylan, fils de Mia Farrow et (selon l'état civil) de Woody Allen. Initialement prénommé Satchel, âgé de quatre ans à l'époque de la supposée agression.
 
Ronan Farrow ne se contente pas d'être frère de, fils de.
Journaliste, il a publié dans le New Yorker, en octobre 2017, une enquête (récompensée par le prix Pulitzer) dont les révélations sur "l'affaire Weinstein" auraient déclenché la vague MeToo.
Excusez du peu.
Depuis cet exploit, le frère de Dylan est une gloire du journalisme américain, le prince qui a mis le feu au château, le libérateur de la parole des femmes.
Quelqu'un pour oser contredire le "prince" MeToo ?
Ne vous bousculez pas. 
 
 
-  Une cerise sur le gâteau MeToo.

Woody Allen est marié - depuis près de 25 ans - à Soon-Yi Previn, de trente-cinq ans sa cadette. Aïe !
Leur relation a débuté lorsque cette dernière était une jeune fille et son futur mari un homme déjà mûr. Aïe, aïe !
En outre, la jeune personne était la fille adoptive de l'ex-compagne du réalisateur, Mia Farrow. Aïe, aïe, aïe !
 
C'est l'évidence, cette relation entre Allen et Soon-Yi constitue un élément accablant.
De quoi au juste ? 
 
Le couple formé entre le cinéaste et son épouse est certes né dans des conditions baroques et pourquoi pas discutables.
Pour autant, cette relation ne peut être qualifiée de pédophile ou d'incestueuse.
 
Mais peu importe les faits, les dates, les procédures d'investigations, les rapports d'enquêtes, ces broutilles.
Seul compte le verdict MeToo.
Qui est formel, certifié par les plus hautes autorités (médiatiques) : Woody Allen est coupable d'une agression pédophile sur sa fille Dylan, et sa relation avec Soon-Yi en constitue une preuve supplémentaire...
 
Le jugement est d'autant plus implacable qu'il se nourrit d'inusables préjugés sexistes.
 
 

...consolidé par des clichés sexistes 

 

- Libérons la parole des femmes, mais pas trop.
 
Quelques mois après les déclarations télévisées de Dylan, une autre femme se décide à prendre la parole, dans une interview à la presse : Soon-Yi.
L'épouse de Woody Allen prend la défense de son mari
Quelle audace.
Elle raconte que Mia Farrow était une mère maltraitante, dont elle ne garde aucun bon souvenir.
Quel culot. 
 
Aussitôt, Ronan "MeToo" Farrow, alias le "prince" de Hollywood, s'indigne : le récit de Soon- Yi est truffé de "mensonges", détourne l'attention des accusations d'agression, "les victimes d'abus (sexuels) méritent mieux que ça, quelle honte.
Par ailleurs, les critiques pleuvent sur l'interview décrié,  Soon-Yi a osé se confier à une journaliste amie de  Woody Allen : ce manque d'objectivité, quelle honte.
(En revanche, aucune raison de questionner l'objectivité du journaliste Ronan Farrow, frère de Dylan et fils de Mia "à qui il doit tout"...)
 
Grâce à MeToo, la parole des femmes se libère, merci de les croire.
Ecoutons les femmes, mais pas toutes : leur "parole libérée" est priée de dépeindre une femme vulnérable, victime d'un prédateur/agresseur/ dominateur masculin.
Mesdames, exprimez-vous librement, à condition de nous raconter un récit conforme aux clichés.
 
Gare à l'imprudente qui ose une version divergente de ce modèle stéréotypé : elle est suspecte, pas crédible, trahit la cause des victimes (féminines) des abus (masculins). Quelle honte.
 
La fautive peut toutefois échapper au procès en trahison, mensonges et autres crimes. Il suffit d'une circonstance atténuante, et elle subira "seulement" une bienveillance condescendante.
C'est simple, c'est l'emprise. 
L'audacieuse a-t-elle raconté ses insanités dissidentes sous emprise (d'un mâle) ?
Soon-yi est-elle sous emprise (de son mari plus âgé) ?
 
Attention, le récit d'emprise n'existe qu'en modèle unique : exercée par un homme sur une femme.
Toute autre version sera irrecevable, inaudible.
 
- Protégeons les femmes, mais seulement de l'emprise du mâle.
 
Ronan Farrow n'est pas le seul frère de Dylan.
Un autre frère s'est manifesté au sujet des accusations proférées par cette dernière contre leur père.
Quelques mois après les larmes télévisées de la jeune femme en janvier 2018, Moses Farrow, fils adoptif de Mia Farrow et de Woody Allen, s'est exprimé.
Il était âgé de quatorze ans le 4 août 1992, date des faits allégués.
 
D'une part, son témoignage souligne l'impossibilité matérielle de la supposée agression.
Le jour en question,  dans la maison "pleine de monde", les adultes présents - et Moses - avaient reçu l'ordre de Mia Farrow de "garder un oeil sur Woody",  de "ne pas le perdre de vue", personne "n'aurait permis à Dylan de s'éloigner avec (son père) même s'il l'avait voulu". D'ailleurs, ce jour-là, Woody Allen n'avait "jamais (quitté le salon) avec Dylan".
Moses Farrow insiste sur d'autres points : le "train électrique" mentionné pour la première fois par Dylan à l'âge adulte, mais dont elle "n'avait jamais parlé pendant l'enquête initiale", était "imaginaire". "Il n'y avait aucun train électrique dans (le) grenier", lieu supposé de l'agression, impraticable "pour des enfants qui voudraient y jouer" et pour "permettre à un train électrique (d'y) tourner ".
 
D'autre part, Moses Farrow décrit Mia Farrow, sa mère adoptive, de la manière suivante :
Elle maltraitait ses enfants adoptifs, notamment ceux "souffrant de handicap".
Surtout, la vie sous son toit "était impossible si vous ne faisiez pas exactement ce qu'on vous disait". Elle a ainsi soumis Moses à des "coachings, manœuvres, scénarisations et répétitions", "en résumé à un lavage de cerveau" pour obtenir loyauté et obéissance, ce qui a conduit l'adolescent, "terrifié et battu", à témoigner contre son père en 1992, à l'époque des accusations.
Moses Farrow récapitule le comportement de sa mère à l'égard de ses enfants : "entraîner, influencer et répéter sont trois mots qui résument exactement comment ma mère a essayé de nous élever", y compris  sa soeur Dylan.
 
Ce témoignage circonstancié de l'autre frère de Dylan a-t-il provoqué une tempête, fragilisé les accusations médiatiques ?
Vous voulez rire ?
Ce fut un flop. 
Moses présente une mère maltraitante, tyrannique, toxique, qui influence, manipule ses enfants (dont Dylan).
Bref, qui leur fait subir une emprise aussi puissante que constante.
 
Des maltraitances maternelles ? Une emprise exercée par une femme ? Par une        maman ? 
Impensable. Tout simplement misogyne.

Nul et non avenu, donc, le récit détaillé de Moses, de même que les enquêtes dont il confirme les conclusions, ces vieilleries.

Prononçons plutôt un verdict moderne. Woody Allen est coupable.
Dylan l'a dit, son frère Ronan (le prince MeToo qui doit tout à maman) l'a dit, les acteurs l'ont dit, le "New York Times" l'a dit. 
Un récent documentaire télévisé l'a re-dit.  
"L'affaire Woody Allen" a été jugée, elle est close.
 
 
 
Woody Allen est le cadet de vos soucis ?  Vous avez d'autres chats à fouetter que le sort de ce type riche et célèbre ?
Cela peut se comprendre.
Mais s'agit-il ici des seuls déboires du réalisateur ?

Il importe de prendre au sérieux la parole des personnes qui se déclarent victimes d'agression sexuelles.
Il importe de démasquer, poursuivre, condamner leurs agresseurs.
Le mouvement MeToo peut y contribuer, c'est positif.
 
Toutefois, la nécessaire prise au sérieux des accusations n'équivaut pas à les traiter en vérité révélée.
Lutter contre les violences sexuelles ne devrait pas évoluer vers une justice d'émotion, de réseaux sociaux, de médias avides d'audience.
Ne devrait pas ignorer des investigations fouillées, le débat contradictoire, au profit d'avis hâtifs et d'idées reçues nourries de stéréotypes binaires et sexistes.
 
En bafouant les principes juridiques élémentaires, de telles dérives frappent des "people". Pour commencer.
 
 
 
 

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