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"Mademoiselle", ou l'âge des femmes

 Longtemps, j'ai tourné autour du terme "mademoiselle". En parler dans le blog, ou pas ? Jusqu'au jour où je suis tombée s...

#MeToo et la parole libérée : les victimes masculines muselées


La pause estivale s'achève.
Il est temps de plonger dans la vague #metoo !








Que dis-je, le "tsunami", le raz-de-marée !
Une tempête qui a provoqué une "rupture historique majeure", une "rupture sociétale", un "événement historique"
Et j'en passe.
Vous n'habitez probablement pas sur Mars, ni dans un caisson hermétique.
Vous savez donc que cette déferlante #metoo a contribué à libérer la parole des femmes victimes de divers abus sexuels.
Voilà un effet positif.

Doublé d'un effet collatéral :
Verrouiller la parole des victimes masculines, à double tour.
On peut estimer cela formidable. Ou pas.




  #metoo : la parole libérée des femmes victimes d'agressions sexuelles



Rappelons qu'après l'affaire dite "Weinstein"  déclenchée à Hollywood en octobre 2017, l'actrice américaine Alyssa Milano a invité les victimes de harcèlement ou d'agressions sexuelles à témoigner sur Twitter. Les victimes ? Plus précisément "toutes les femmes".

Dès leurs débuts, #metoo, mais aussi #balancetonporc et autres hashtags similaires dans bien d'autres pays ciblaient les femmes victimes d'abus sexuels, "toutes les femmes, dans tous les milieux".

D'où le "tsunami", et la supposée naissance d'une révolte féministe globalisée, d'une dimension mondiale, d'un bout à l'autre de la planète.
Y compris en France, où la Fondation des Femmes, dédiée à la lutte contre les violences faites aux femmes, s'est impliquée. Sans oublier bien sûr le hashtag hexagonal #balancetonporc.

De tous côtés, nous est donc parvenue l'information suivante :
Un raz-de-marée féminin et féministe serait survenu, un  mouvement social féminin du XXIe siècle, capable de renverser la séculaire domination masculine.  
Un phénomène prêt à s'inscrire dans la longue histoire du féminisme.
Jusqu'à envisager une remise en question  de l'expression du désir masculin , voire d'"anéantir l'idée d'un désir masculin irrépressible".

L'affaire est donc lumineuse comme un matin d'été.
Dépourvue de tout mystère sur le genre des personnes dont la parole est "libérée" :
Victime, c'est féminin.
 #nous toutes mes  soeurs !

Tout aussi limpide, le genre des agresseurs :
Ne cherchez pas, il est dans le mot.
Masculin.
Coucou,  #balancetonporc

Enfin un scénario clair dans ce monde compliqué.
Dans la palpitante série sur la lutte contre les agressions sexuelles et autres harcèlements, les rôles sont distribués.
Aux femmes celui des victimes, aux hommes celui des prédateurs.
Voilà une approche simple, nette, un vrai cristal de roche.
Simple, ou simpliste ?

Qu'on le veuille ou non, certaines victimes d'abus sexuels sont masculines



Dans l'industrie du spectacle  - et "dans tous les milieux" - , il existe aussi des victimes masculines.

Il n'a échappé à personne que plusieurs hommes ont accusé le célèbre acteur Kevin Spacey ("House of Cards), tandis que d'autres mettaient en cause le réalisateur Bryan Singer ("X-men", "Usual suspects", "Bohemian Rapsody").

Les acteurs Terry Crews,James Van der Beek, Javier Munoz, Brendan Fraser et  le scénariste Brian Scully ont témoigné sur les agressions sexuelles dont ils ont été victimes. 
MAJ : un comédien français, Aurélien Wiik, a révélé avoir été victime de nombreux abus sexuels dans le milieu du cinéma.

Plusieurs hommes ont mis en cause le directeur musical du Metropolitan Opera de New York.
Des dizaines d'autres - mannequins ou assistants - ont accusé de faits similaires les photographes Bruce Weber et Mario Testino.
Selon le chanteur Tom Jones, dans l'industrie musicale, le harcèlement sexuel est omniprésent, à l'encontre des femmes, et aussi des hommes, lui-même l'ayant subi au début de sa carrière.

Plus généralement, dans "tous les milieux", aux Etats-Unis, pays d'origine de #metoo,    60 % des femmes et 20 % d'hommes auraient subi du harcèlement sexuel.
Selon la militante américaine Tarana Burke, une fille sur quatre et un garçon sur six seraient agressés sexuellement chaque année.
Tarana Burke n'est pas n'importe qui !


Originaire de Harlem, c'est elle qui a lancé - dès 2007 - la première campagne MeToo pour dénoncer les violences sexuelles, notamment dans les quartiers défavorisés.

Et en France ?
3,9 % des hommes (14,5 % des femmes) de 20 à 69 ans auraient subi diverses formes d'agressions sexuelles - hors harcèlement - (Secrétariat chargé de l'égalité entre les femmes et les hommes - source : enquête "VIRAGE", INED, 2016). Environ 2,5 % des hommes et 5,4 % des femmes (même tranche d'âge) auraient été confrontés à du harcèlement sexuel, y compris au travail (même source).


Le constat est sans appel : les victimes de harcèlement et agressions sexuelles sont majoritairement des femmes.
Le constat est sans appel :  dans une proportion minoritaire mais notable, ces victimes sont masculines.

Et les auteurs de ces violences ?
Les "porcs" bien sûr ! Des femmes ? Vous n'y pensez pas !
En fait, vous devriez.
Certains auteurs sont des auteures/trices. Notamment Cristina Garcia (élue démocrate au parlement de Californie), Andrea Ramsay ( politicienne du Kansas), Avital Ronell (universitaire new-yorkaise), Asia Argento (actrice).
Minoritaires ? Sans doute. Des exceptions ? Sans doute pas.


Parler des victimes masculines nuirait gravement à la cause des femmes

 

 Et pourtant, c'est la parole des femmes victimes (d'hommes) que #metoo a contribué à libérer. Et l'on peut certes s'en féliciter.

La parole des hommes ? Bien sûr, écoutons-là ... à condition qu'ils témoignent leur solidarité avec #metoo, leur soutien aux femmes agressées.
On peut les en féliciter.
Ces hommes démontrent que certains d'entre eux sont fréquentables (incroyable, non ?).

En revanche, les victimes masculines ne sont pas un sujet. Pas le sujet.
Celui de la révolte et de la colère des femmes contre "les porcs", les gros lourds, les harceleurs, les prédateurs. Entendez : les hommes.
La fondatrice originaire de #metoo, Tarana Burke, l'a constaté, et le regrette : le mouvement est présenté comme un complot vindicatif contre les hommes.
Lequel n'a que faire des victimes masculines d'abus sexuels.
Elles (ou plutôt ils ) sont inutiles à la cause féminine. Pire, nuisibles.
Passons ces gêneurs à la trappe.












Premier argument en faveur du grand escamotage :
Les victimes masculines sont (très/extrêmement) minoritaires.
Puissant raisonnement. Depuis quand les minorités comptent-elles pour du beurre ?

Deuxième argument : 
Les masculinistes instrumentalisent les abus dont seraient victimes certains hommes, pour attaquer et affaiblir la cause des femmes.
Par conséquent, une meute de misogynes hargneux aboie et tout le monde rentre à la niche ?
Ignorons certaines victimes  - du mauvais genre - pour calmer des roquets ?
C'est combatif.

Troisième argument : 
Seules comptent, valent, importent les victimes systémiques (les femmes) de la domination masculine, de l'inégalité hommes-femmes.
Tant pis pour les autres victimes. Pour toutes celles qui ont le tort de ne pas être "systémiques".
Le tort d'être du genre masculin, du genre des oppresseurs.
Ce sont tout de même des êtres humains ? Vous êtes sûr.es ? Prouvez-le.
Laissons-les croupir dans leur coin.

Tant pis également pour les femmes victimes de femmes (elles existent aussi). Qui ont le tort de ne pas s'être fait agresser par des hommes, comme il se doit.
Ou bien pour les hommes et femmes trans.
Laissons-les croupir aussi.


En résumé, c'est tout simple (à nouveau) :  vive le tri sélectif entre les victimes.
Gardons les "bonnes", jetons les "mauvaises".
Ce serait la clé du combat des femmes contre la domination masculine (contre les hommes, pour faire court).  De sa force, de son succès.

Sauf que l'occultation des "mauvaises" victimes pourrait au contraire l'affaiblir.



Libérer la parole des victimes masculines : un atout pour l'égalité femmes-hommes

 

 Selon les militantes féministes elles-mêmes, le combat pour l'égalité nécessite "une véritable lutte contre les stéréotypes" de genre.

Toutefois, ces stéréotypes se nourrissent avec avidité du mouvement #metoo réduit à une exclusive opposition femmes victimes - hommes prédateurs, à un complot vindicatif contre les hommes.

Le genre masculin s'y retrouve associé à la puissance (malfaisante certes).
Le genre féminin, à la faiblesse, la vulnérabilité, au besoin de protection.
Un peu mou du genou, le combat contre les clichés et les stéréotypes de genre...

Dire que #metoo est supposé contribuer à combattre les schémas de domination et d'inégalité entre les sexes...
Pourtant la militante Tarana Burke, l'a rappelé : le mouvement est pour tout le monde, toutes les victimes de violence sexuelle. Laquelle est une question de pouvoir et de privilège, dont  toute personne en situation de pouvoir est susceptible d'abuser (et toute personne d'en être victime).


Bien sûr, les hommes demeurent encore majoritairement en position de pouvoir, et donc tentés d'en abuser. Ce dont ils ne se privent pas, le plus souvent à l'égard des femmes.
Mais pas seulement.
Tout le monde, toute personne, quel que soit son genre, peut être un jour vulnérable, sous emprise, en situation d'infériorité.
Il n'est pas question d'oublier les fréquentes violences faites aux femmes.
Il pourrait être question de se rappeler les violences faites à toutes les victimes, tous genres confondus.

Ce qui aurait le mérite d'aider à combattre schémas sexistes, clichés, préjugés, stéréotypes de genre.

Autrement dit, de consolider l'égalité entre les sexes !









4 commentaires:

  1. Je suis assez d'accord que le mouvement #metoo a fait l'objet d'une simplification affligeante. Néanmoins cette simplification n'est le fait que de certain(e)s, et pour beaucoup d'autres la libération de la parole que ce hashtag a permis a été bénéficiaire. Le fait que les hommes n'aient majoritairement pas pu saisir au vol l'occasion montre qu'il reste des progrès à faire, mais ne remet pas en cause la pertinence du #metoo. Si?

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  2. Une simplification affligeante, certes ! Je n'aurais pu mieux dire !
    Mais bien au-delà de quelques personnes, elle résulte d'un véritable rouleau compresseur médiatique, déclenché dès l'origine de #metoo, et se trouve toujours en pleine activité.
    Et oui, je pense qu'un mouvement supposé contribuer à une "libération" de parole affaiblit sa pertinence s'il laisse certaines catégories de victimes, même minoritaires, sur le bord de la route.

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  3. Effectivement, tu abordes des points sensibles qui reviennent constamment sur le sujet des hommes victimes.
    Le fait que ça serait une minorité "non systémique" ferait qu'ils "passent après" (cad jamais). au passage, "non systémique" de la part de femmes, certes. Mais leur silenciation, elle, est bien systémique (pas de sensibilisation à leur égard, refus des assos de les prendre en charge, pas de numéro dédié, etc...).
    "L'instrumentation masculiniste" a quant à elle bon dos lorsque ça sert d'argument massue pour faire taire les victimes qui gênent car elles sont nées avec le mauvais genre.Qu'y a-t-il de masculiniste à vouloir que son vécu soit reconnu? A être protégé peu importe son genre et celui de l'agresseur.e?
    Et effectivement tu fais bien de rappeler, il n'y a pas que les hommes; les homosexuels (hommes et femmes) et trans sont aussi silenciés.

    La libération de la parole des femmes est un très bon signe, ça fait effectivement longtemps qu'on en avait besoin, mais s'il laisse les minorités au bord de la route parce qu'elles gênent, ça me laisse amère...

    Et effectivement comme tu le dis, le fait de ne considérer que l'aspect systémique des victimes (alors qu'être une victime conjugale, systémique ou pas, ça fait des ravages, jour après jour, les clichés font que l'entourage ne croit jamais les victimes et que la police ne fait rien, et longtemps après que ça se soit arrêté, les victimes sont encore très marquées; sans compter qu'une victime de violence conjugale a davantage de possibilité de retomber sur une personne violente...
    Minorité ou pas, on ne peut pas fermer volontairement les yeux sur les victimes quelles qu'elles soient...

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  4. Tu mets le doigt sur un point fondamental : le sujet des hommes victimes soulève constamment des questions sensibles.
    Questions qui amènent ce sujet à être invisibilisé. Constamment.
    Les raisons sont nombreuses et complexes (j'essaie de les synthétiser,dans cet article sur #metoo et d'autres qui concernent les violences conjugales).
    Mais le résultat de cet invisibilisation est navrant : une vision simpliste, manichéiste et finalement conservatrice du genre masculin et du genre féminin.
    A qui cela profite-t-il, en fin de compte ?

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