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"Mademoiselle", ou l'âge des femmes

 Longtemps, j'ai tourné autour du terme "mademoiselle". En parler dans le blog, ou pas ? Jusqu'au jour où je suis tombée s...

Suicides des hommes : le grand silence

Un matin, à l'heure du petit déjeuner, j'écoutais la radio.
Journal, succession des nouvelles, présentation d'un nouveau sujet : les taux de suicides en 2019. 
Les hommes trois fois plus nombreux que les femmes à mettre fin à leurs jours. 
J'ai lâché ma tartine.
Trois fois plus nombreux.
Le saviez-vous ?
Pas moi. Créatrice d'un blog consacré à débusquer les idées reçues sur les hommes et les femmes.
J'étais mortifiée.

J'ai creusé la question. 
Simple, la réponse.
Les mecs se suicident en nombre, mais personne - ou pas grand-monde - ne le sait, ou ne veut le savoir.
Ce qui contribue à entretenir la grande forme des clichés sur la masculinité (et la féminité). Ils vont très bien, merci pour eux.

 

 Les suicides masculins très majoritaires, partout ou presque


Le suicide est un phénomène meurtrier, davantage que les accidents de la route. Environ 10 000 personnes mettent fin à leurs jours en France, soit 25 par jour. 
Ce qui fait du monde.
Et parmi cette foule, 75 % sont des hommes.
Ce qui fait beaucoup.
Cet excédent masculin se retrouve au niveau mondial - quoique moins élevé dans les pays à faibles revenus. En moyenne, dans le monde, les hommes se donnent la mort deux fois plus que les femmes.

Les exceptions à cette surmortalité masculine par suicide sont rares, la plus notable étant la Chine (où la différence entre les genres est d'ailleurs faible : 8,3 pour 100 000 femmes et 7,9 pour 100 000 hommes). 
 
Non seulement les hommes se suicident davantage - parfois beaucoup plus - presque partout, mais cette différence ne date pas d'hier.
 
Notons qu'à l'inverse, les tentatives de suicides sont nettement plus fréquentes chez les femmes que chez les hommes. 

Non, il ne s'agit pas d'une compétition.
Oui, détresse, souffrance psychique, dépression, frappent les êtres humains. Sans distinction de genre.
Qui se traduisent par des suicides masculins - beaucoup - plus nombreux, presque partout dans le monde.
 
Ce constat m'a surprise ? Il n'aurait pas dû. Il vous étonne ? Il ne devrait pas.  
Les hommes meurent plus souvent de suicide ? Rien de surprenant à cela.


black and white


Les suicides masculins plus nombreux "grâce" aux stéréotypes de genre


L'une des raisons tient au mode opératoire choisi par les hommes : ils emploient davantage des méthodes plus létales (pendaison, armes à feu).

Mais d'autres facteurs contribuent à la surmortalité masculine par suicide.
En particulier les standards classiques de masculinité.  

Quand on est un homme, un vrai, un tatoué, on ne se plaint pas, on serre les dents, on se tait.
Le silence est d'or, le silence est viril.
Quand on est un homme, un vrai, on ne pleure pas. On n'est pas fragile, on n'est pas faible.
Et puis quoi encore ? C'est bon pour les femmes, ces bêtises. 
 
Ces clichés sur la masculinité ont la vie dure et produisent des effets ravageurs.
Particulièrement chez les hommes, la dépression demeure stigmatisante
Ignorés, niés, dissimulés, ses signes et symptômes ne sont pas détectés ni traités.
La honte sociale pèse sur les hommes en souffrance morale. Ils se replient sur eux-mêmes, s'isolent. Avec pour conséquences : autodestruction, violence, suicide.
 
Grâce aux idées préconçues sur la masculinité, le fait d'être un homme aggrave le risque de décès par suicide.
 
Mais ce facteur d'aggravation est le plus souvent ignoré, dénié, ce qui alimente... les idées préconçues sur la masculinité...et la féminité.


Suicides masculins : leur fréquence dissimulée

 
Les décès par suicide se révèlent beaucoup plus fréquents chez les hommes et je l'ignorais ? Vous l'ignoriez ?
Rien de surprenant.
Cette réalité est souvent minimisée, à l'aide de méthodes simples.
 
Il suffit de :
- focaliser l'analyse des comportements suicidaires sur les tentatives de suicide, qui touchent - effectivement - plus souvent  les femmes, en première ligne dans ce domaine, en particulier chez les jeunes filles.
Ce qui conduit à pointer une disparité de genre...au détriment des femmes, à déplorer leur situation préoccupante face aux conduites suicidaires.   
Tout en dédaignant cette broutille, les statistiques sur les taux de suicide.
 
- mettre en lumière les - rares - pays où les femmes se suicident davantage que les hommes (Bangladesh, Chine, Lesotho, Myanmar, Maroc).
Et pourquoi pas, en osant prétendre que ces pays sont nombreux.
Ce qui permet d'afficher un sujet sur le double thème des "taux de suicide" ET des "femmes majoritairement touchées" par le problème.

- évoquer les pays qui détiennent les - tristes - records mondiaux de suicides féminins, en particulier l'Inde, où les femmes subissent une forte - et intolérable - oppression. Si possible, sans préciser que dans ce pays, le nombre de suicides demeure malgré tout plus élevé chez les hommes.

Ainsi présentées, ces analyses mènent tout droit aux conclusions suivantes : 
Les femmes sont particulièrement concernées par les comportements suicidaires.
Elles constituent une population à risque face au suicide.
Etre une femme en constitue l'un des facteurs principaux.
Le suicide est une affaire de femmes.
 
Pendant ce temps, les hommes continuent à se suicider davantage.
Pendant ce temps, ce constat est escamoté.
Pendant ce temps, les clichés sexistes pètent la forme.
 

Escamoter l'ampleur des suicides masculins ne profite qu'aux stéréotypes sexistes

 
Le suicide concerne les femmes ?
C'est une réalité évidente, dramatique, incontournable.
Parlons-en.

Pour autant, le suicide concerne-t-il davantage les femmes ? Surtout les femmes ? Avant tout les femmes ?
Le prétendre est-il féministe ? Favorable aux femmes ?

Réserver au genre féminin dépression, émotivité, crises psychiques, souffrances morales.
Faiblesse, fragilité, vulnérabilité constitutive.
Rien de plus féministe voyons...
Continuons donc à entretenir avec amour tous ces clichés et autres stéréotypes sexistes.
 
Et, dans la foulée, persistons à ignorer la fréquence des suicides masculins. A l'enterrer.
En cultivant la perception d'une virilité imperméable aux émotions, à la détresse, l'isolement.
Au désespoir, à la douleur psychique.
C'est stoïque, un mec, c'est costaud.
Vous reprendrez bien un peu de domination masculine ?


Les comportements suicidaires concernent tous le monde, n'épargnent personne. 
Gommer, éluder l'ampleur des suicides masculins ne profite pas aux femmes. 
Seulement aux préjugés sexistes.
 


 

4 commentaires:

  1. Bon résumé.
    Effectivement, je remarque avec inquiétude que "fragile" est aujourd'hui une insulte chez les jeunes, ce qui m'inquiète quant à la mentalité des générations à venir... (même si au fond elles ressemblent bien, par certains aspects, aux générations précédentes).

    Egalement, la masculinité et le fait de "garer tout pour soi" augmente effectivement le risque de suicide mais également le risque qu'on ne voit rien, et que ces personnes passent complètement hors des radars des statistiques. Ne pas oser parler = pas de signalement = pas de statistiques = pas de victimes aux yeux de la société.

    Effectivement les méthodes utilisées dont tu parles sont assez scandaleuses, mais guère surprenantes dans une ambiance sociale où les victimes hommes n'ont pas encore droit de cité.
    Oui, les tentatives de suicides sont plus souvent féminines, mais oser dire que c'est une "affaires de femmes" alors que dans la grande majorité des pays du monde, ce sont les hommes qui meurent le plus de cela, c'est vraiment osé.

    Et effectivement, j'ai l'impression que parfois, certaines réactions militantes alimentent davantage les clichés qu'elles ne servent le féminisme, justement... à force de refuser avec acharnement le statut de victime aux hommes, ce sont toutes les victimes qu'elles desservent...
    Et j'avoue être très fatiguée de constater cela, encore et encore...

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  2. Voilà, c'est cela, un refus obsessionnel de nombreuses féministes d'admettre fragilité et souffrance masculines. Avec le refrain que cela affaiblirait la lutte contre les souffrances féminines.
    D'une part, humainement, un tel point de vue est plus que discutable.
    D'autre part, ce qu'il renforce en réalité, ce sont les barrières entre les sexes, les clichés véhiculés de longue date par...le machisme.
    Oui, tout cela est fatigant.

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  3. Vincent BOBO2/06/2021

    Ces chiffres sur le suicide ne me surprennent pas. Au delà de la question du suicide et si on élargi le débat, la question fondamentale à se poser et que nombre de féministes devraient se poser est à mon avis la suivante :
    La condition masculine est elle dans notre société à ce point aussi enviable que cela ?
    Pour y répondre objectivement il convient de prendre quelques indicateurs comme le suicide, la grande pauvreté (qui est à la rue ?) la violence physique subie, la dureté du travail (travail de nuit , travail harassant)et le temps qui y est consacré,l'espérance de vie, la santé etc ...
    Sans nier aucune des inégalités qui touchent les femmes et dont la principale est la position sociale et la rémunération sur le marché du travail, lorsqu'on compare globalement la condition masculine et féminine dans leur ensemble on ne peut pas dire que les hommes sont enviables. Je suis un homme et si j'analyse les choses rationnellement je dirais que si j'avais eu le choix j'aurais préféré être une femme (à mon époque et en France il s'entend).

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    1. Vincent, vos observations sont d'une grande pertinence.
      Il se trouve que je prépare un article sur cette problématique plus générale de la souffrance masculine, laquelle - dans de nombreux domaines - n'a sans doute rien à "envier" à celles que subissent les femmes.Elle ne suscite pourtant, pour l'essentiel, qu'ignorance et indifférence,et pas seulement de la part des féministes. Pour diverses raisons que j'analyserai dans l'article à venir.
      Par ailleurs, vous avez raison de rappeler l'importance du contexte géographique et historique.
      Homme ou femme, il me semble qu'il y a pire que vivre en France à notre époque (globalement, je précise).

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