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"Mademoiselle", ou l'âge des femmes

 Longtemps, j'ai tourné autour du terme "mademoiselle". En parler dans le blog, ou pas ? Jusqu'au jour où je suis tombée s...

Hommes battus par de faibles femmes : une histoire drôle


Chut !
Silence sur les hommes victimes de violences conjugales !
Ces histoires de gars malmenés par leur femme, c'est de la blague !
ILS PEUVENT SE DEFENDRE !

Le bel argument massue !

femme avec massue












Vous imaginez un homme, un "vrai", se laisser emm... par la petite chose fragile qui lui sert de conjointe ?
Préjugés et autres idées préconçues dégainent une réponse toute prête : "Laissez-moi rire. Bien sûr que non !"
On ne va tout de même pas s'embarrasser des statistiques qui révèlent que les hommes, certes moins nombreux, sont loin d'être épargnés.

Puisque nous en sommes aux histoires drôles, faisons entrer en scène une humoriste, j'ai nommé Muriel Robin.
Madame Robin a déclaré la guerre aux violences conjugales. Bravo à elle.
Mais ne lui parlez pas d'hommes victimes. Quelle absurdité !
Ecoutons notre humoriste :
 Un homme violenté par sa femme peut à un moment lui dire "tu arrêtes"
"C'est une histoire de muscles" "Un homme est plus fort qu'une femme, point."

A en croire les préjugés et Muriel Robin, la force physique masculine règle le cas des victimes masculines de violences conjugales :
Ces victimes-là méritent mépris, moqueries, déni.

Ce qui revient à :
- inciter les hommes à user de leur force physique à l'encontre de leur compagne,
- renforcer les stéréotypes sexistes,
- méconnaître les facteurs qui neutralisent la donnée de la force physique dans les violences conjugales subies par les victimes masculines.




Oublions les hommes victimes de violences conjugales : ils "peuvent se défendre"

 

1) Messieurs, intimidez vos femmes

Madame est en train de vous hurler dessus, insulter, griffer, mordre, frapper, utiliser divers objets pour tenter de vous blesser, par exemple tasses d'eau bouillante, ciseaux et autres couteaux ?
Pour la  calmer, c'est tout simple.
Suivez le conseil avisé de Muriel Robin, dites à votre conjointe "tu arrêtes".
Aucun doute, aussitôt, votre moitié déchaînée va se souvenir qui est le plus fort, le plus costaud, le maître à la maison.
Aussitôt, ramenée à sa condition de faible femme, la harpie va trembler, va obéir.
Aucun doute.

2)  Messieurs, utilisez vos "muscles" pour maîtriser vos femmes

Et si, par extraordinaire, la phrase magique "tu arrêtes" demeure sans effet ?
Si Madame ne se calme pas ?
Si l'imprudente a oublié "l'histoire de muscles" ?
Tant pis pour elle, il faut lui rafraîchir la mémoire.
Vous n'allez tout de même pas vous laisser maltraiter sans réagir, si vous êtes un homme, un vrai, "plus fort qu'une femme, point."
Elle vous frappe de ses petits poings ridicules ?
Vous pouvez rendre les coups, les rendre en cognant plus fort ! Un homme sait se défendre !

Mieux encore, il doit le faire.

Pour être un "vrai" mec, tape, mon gars.

Rions des hommes victimes de violences conjugales, incapables de dominer leurs femmes



Monsieur, confronté à la violence verbale et/ou physique de Madame, vous n'avez pas réagi ?
Vous ne lui avez pas intimé "d'arrêter" en roulant des mécaniques ? Ne lui avez lancé aucune sommation, aucune intimidation ?
Vous ne lui avez balancé aucun crochet du gauche pour lui rappeler qui est le plus fort ?
Même pas touché un cheveu de sa tête ?
Le doute s'installe : êtes-vous un homme, un vrai ?

Rappelons le principe basique :
C'est le mâle qui agresse, sa femme de préférence.
Il est anormal qu'il se fasse agresser, surtout par une femme. Cocasse, l'idée...
Un homme n'en est pas vraiment un s'il se laisse maltraiter par sa conjointe.
C'est une mauviette, une femmelette.
Tant pis pour lui,  il se retrouve déclassé, perd sa place de dominant, sa virilité.
Il aurait dû "se défendre", utiliser ses "muscles", montrer à la femme qui est le "plus fort".


Négliger ces "fortes" victimes masculines  renforcerait la cause des femmes ?
C'est une plaisanterie.
Et elle n'est pas drôle, n'en déplaise à Muriel Robin.

En réalité, mépriser et oublier ces victimes minoritaires renforce bien quelque chose :
Les stéréotypes sexistes.
Autant inscrire dans le marbre le principe suivant : 
Un homme maîtrise, domine (toujours).
Une femme subit, est dominée (toujours).




Pour éviter d'être violenté par sa faible femme et conserver son statut de mâle dominant, un homme devrait donc utiliser sa force physique.
Ce magnifique raisonnement ne se borne pas à alimenter les clichés sexistes.

Il fait mine d'ignorer que les violences familiales ne se réduisent pas à une question de domination physique masculine.


Hommes victimes de violences conjugales : la force physique neutralisée

 

 

Petite observation préalable : tous les hommes ne sont pas des montagnes de muscles, ni toutes les femmes des brindilles.
Certains hommes sont moins costauds que leur compagne.
Certes, le cas est minoritaire.
Mais en matière de violences familiales, qui s'intéresse aux victimes minoritaires ?


Ceci étant, inutile de nier l'évidence : la plupart des hommes sont physiquement plus forts que les femmes (victimes majoritaires des violences conjugales).
Mais voilà, de cet avantage, les victimes masculines ne profitent pas, ou si peu.


En effet, pas de violence conjugale -  recherche de pouvoir sur l'autre -  sans emprise psychologique du conjoint violent sur la victime, femme ou homme.
Elle permet à son auteur d'asseoir sa domination.
Cette emprise s'inscrit dans la durée, à travers des mauvais traitements   psychologiques : humiliations et dévalorisations verbales, insultes, dénigrement, isolement social, moqueries, brimades systématiques, chantage affectif, jalousie extrême...
Elle constitue un véritable harcèlement moral quotidien, et souvent le prélude aux violences physiques.
Cette violence psychique prolongée produit des effets dévastateurs.

Elle mène à une entreprise de démolition identitaire qui conduit la victime à se soumettre, se ressentir comme n'ayant aucune valeur, aucun droit.
Elle génère un état de colonisation psychique, de soumission.
Elle prive la victime d'estime d'elle-même, de capacité à penser par elle-même, à prendre une décision.
Sous domination de son conjoint, la victime sous emprise est devenue hors d'état de réagir.

Devant son inertie face aux maltraitances subies, les questions fusent :
Mais enfin, elle aurait pu partir ?
Elle ne pouvait plus.
Mais enfin, elle aurait pu porter plainte ?
Elle n'y parvenait pas.
Mais enfin, ce grand costaud aurait pu maîtriser sa frêle petite femme ? Il aurait pu "se défendre" ?
Il était hors d'état de réagir.
Les stratégies relationnelles et l'emprise psychique annulent la donnée de la force physique.


En outre, des facteurs supplémentaires peuvent retenir l'homme violenté par sa femme d'écouter "l'histoire de muscles" :

- Il va s'abstenir de "se défendre" parce qu'il considère qu'on ne frappe pas une femme.
Et oui, des hommes ont ce genre de principe.
Tous ne confondent pas les femmes avec des punching-balls. Incroyable, non ?

- Il peut aussi percevoir la nécessité de demeurer irréprochable.
Surtout, ne pas riposter. Encaisser sans répliquer.
Surtout, ne fournir à la conjointe violente aucune occasion de porter plainte ... pour violences conjugales.
Devant la justice, le moindre doute profitera à celle-ci, l'élément "faible" du couple.

Pour un homme soumis aux violences psychologiques et/ou physiques de sa conjointe, le recours à la force physique, à ses "muscles", est impensable/inutile/nuisible.
Hors du cadre.


Et pourtant, nous persistons à bêler le refrain :"ils peuvent se défendre"...
A jeter aux oubliettes les victimes masculines de violence conjugales.
Un homme dominé, maltraité par sa femme ?
Non mais, vous voulez rire. Il l'a bien cherché, cette mauviette.
Mépris à l'égard de ces hommes.

Une femme capable de malmener, de dominer son homme ?
Non mais, vous plaisantez.
Mépris à l'égard de toutes les femmes.

Et sexisme à tous les étages.

L'histoire n'est pas drôle.



3 commentaires:

  1. Bon rappel de ce qu'il en est vraiment sur ce mythe du muscle dnas la violence conjugale.
    Cette histoire de muscles est un faux problème, étant donné que les hommes savent que s'ils laissent une marque, même pour se défendre, la police les soupçonnera de toute façon. Donc muscles ou pas, les hommes victimes savent en général qu'elles n'ont pas le droit de se défendre, sous peine d'être arrêté avec risque de prison.
    A l'inverse, quand on dit qu'une femme ne peut pas battre un homme car elle est plus faible, c'est oublier très vite qu'elle peut utiliser des objets pour compenser.
    Ca + les préjugés, c'est bien là tout le problème.

    Nous sommes dans une société qui ne peut pas accepter que des femmes soient violentes et que des hommes soient violentés par des femmes.
    On renvoie ça à "des histoires individuelles" comme pour balayer cette minorité d'un revers de main. Pourtant, le secrétariat à l'égalité dans ses chiffres de 2019 annonce 219.000 femmes victimes et 84.000 hommes.
    Une minorité, mais pas insignifiante non plus.

    Encore merci pour les sources ^_^ (je connaissais pas la thèse de Lyon de 2017).

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  2. Merci pour ton commentaire.
    Les sources (vérifiées) m'apparaissent fondamentales pour étayer une argumentation.

    Année après année, les statistiques confirment effectivement :
    - l'importance et la gravité des violences subies par les femmes
    - l'existence minoritaire mais notable (entre un quart et un tiers) d'hommes victimes.
    Jour après jour, semaine après semaine, mois après mois et année après année, cette minorité est effacée. Comme si elle n'existait pas. C'est effarant..

    Je t'invite à lire la thèse de médecine de 2017 sur les hommes victimes et le rôle de médecins généralistes . Elle est assez longue mais très claire et passionnante. Son auteure, Eve Ullmann, précise qu'il est pour elle "hors de question d'opposer violences faites aux femmes et violences faites aux hommes" et que "l'ensemble de la population a intérêt" à une prise en charge de "toutes les violences intrafamiliales"...

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  3. Anonyme6/12/2023

    MAJ : la thèse de médecine d'Eve Ullmann n'est plus accessible en ligne.
    Mais j'ai repris, comme source équivalente et lisible sur internet, une nouvelle thèse de médecine encore plus récente (2021) de Delphine Ripka, sur le même sujet, et qui cite d'ailleurs Eve Ullmann dans ses remerciements.

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